vendredi 20 novembre 2009
Roland Coutanceau : "Le véritable défi, c'est de développer pendant le temps carcéral toutes les possibilités de prise en charge"
Fanfan : Comment les psychiatres décèleront-ils une "particulière dangerosité caractérisée par un risque particulièrement élevé de commettre à nouveau une infraction" ? Est-ce à dire que la peine après la peine pourra être décidée sur le simple pronostic de troubles de la personnalité ?
Roland Coutanceau : Non, effectivement, c'est une question pertinente, puisque l'élément essentiel est justement de pouvoir évaluer ce qu'on appelle la dangerosité criminologique. Il y a deux manières de l'évaluer. L'une est statistique, par exemple, le fait d'avoir déjà été condamné deux fois pour le même délit, le fait d'être un pédophile exclusif, le fait d'être obsédé par ses fantasmes, le fait de s'attaquer à un enfant en dehors de la famille, de s'attaquer à un enfant anonyme, qu'on ne connaît pas, sont statistiquement des critères de dangerosité.
Parallèlement, il peut y avoir une évaluation qualitative, qui est simplement la manière dont un homme est capable de parler de façon mature de son passage à l'acte, par exemple, la qualité de reconnaissance des faits, le fait de reconnaître ou non sa responsabilité, de reconnaître ou non la contrainte, ce qu'on ressent d'avoir fait ça (indifférence, vague malaise, honte ou culpabilité), le fait de s'intéresser aux conséquences pour la victime, enfin la manière de se positionner par rapport à la loi sociale, la loi des hommes qui vous interpellent, sont une manière d'évaluer l'évolution de l'homme après son acte.
Finalement, il y a donc une évaluation quantitative et une évaluation qualitative. Et de mon point de vue, c'est l'ensemble des deux qui permet de donner une évaluation de la dangerosité criminologique, soit faible, soit moyenne, soit forte.
Michaël : La rétention de sûreté ne montrerait-elle pas l'échec de la société dans son "devoir" de réinsertion, car certes, le criminel doit être condamné au nom de la société, mais celle-ci ne doit-elle pas permettre la réinsertion ?
Roland Coutanceau : Bien sûr, et il y a donc deux manières de voir le centre de rétention. L'une fait qu'on pourrait craindre que ce soit un lieu où restent à durée indéterminée des sujets que l'on craint, mais l'autre, plus positive, et comme le souligne la loi, fait que cette orientation vers un centre de rétention (mesure de sûreté après la peine) ne puisse se faire que si, préalablement, on a tout fait pendant le temps de détention pour proposer à l'intéressé une prise en charge visant à diminuer sa dangerosité supposée.
Finalement, ce qui est essentiel, c'est que cette exceptionnelle mesure de rétention puisse catalyser le développement en milieu carcéral de centre pénitentiaire où il y a pour tous les sujets qui le souhaitent, et bien sûr, pour ceux qui apparaîtraient dangereux aux yeux de la société, la possibilité d'être suivis, d'être pris en charge, et accompagnés dans une évolution pendant le temps de peine. Finalement, donner du sens, donner du contenu à la peine elle-même.
Sarah PACA : M. Debré a proposé que le traitement hormonal, qui est déjà possible pour les délinquants sexuels, devienne obligatoire. Ce traitement n'est-il pas illusoire ? Les patients qui le reçoivent souffrent d'impuissance mais il est reconnu qu'ils n'en perdent pas moins le désir sexuel... et leurs fantasmes. Comment pouvons-nous croire alors qu'un traitement hormonal pourrait guérir des pédophiles et les empêcher d'agir ?
Roland Coutanceau : Là encore, je répondrai en tant que médecin. Au fond, le traitement hormonal antiandrogène, dit castration chimique, n'est pas un traitement miracle. Il peut être utile, surtout d'ailleurs s'il est bien compris et accepté par la personnalité de celui à qui on le prescrit.
Quelles sont les indications de ce traitement hormonal ? C'est le fait d'être un pédophile exclusif, i.e. centré au niveau de ses fantasmes exclusivement sur des enfants. C'est aussi que cette fantasmatique soit obsédante et permanente. C'est enfin que la personnalité en elle-même est très égocentrique, ou dit autrement, mégalomaniaque.
C'est quand les individus présentent au moins un de ces critères que, en ce qui me concerne, je souhaite leur prescrire le traitement antiandrogène. Encore faut-il que, dans la déontologie médicale, je puisse convaincre l'intéressé de prendre le traitement.
Il y a dans la prise en charge de quelqu'un qui a une dangerosité potentielle un dialogue d'homme à homme, où il faut d'une certaine manière le convaincre d'accepter dans son intérêt bien compris ce qu'on lui propose.
Voilà la réalité de terrain de prescription des anti-hormones : c'est intéressant, c'est utile, c'est souvent bien accepté par les individus, mais en même temps, comme tout traitement médical, il y a des effets secondaires, des contre-indications, et donc le médecin a besoin d'un minimum d'adhésion, ou simplement d'acceptation, de l'intéressé.
Florence Duthil : Certains criminels sont reconnus responsables de leurs actes au moment des faits. Ils présentent pourtant de graves troubles psychologiques et sont soignés en conséquence pendant leur incarcération. Est-ce qu'ils auraient dû en fait être reconnus irresponsables et être internés dans un hôpital psychiatrique ?
Roland Coutanceau : Les troubles mentaux sont très variables. Il y a des troubles mentaux qui font discuter l'abolition du discernement, et donc qui orientent vers l'irresponsabilité pénale, et donc l'hospitalisation en milieu psychiatrique. Ces troubles sont la schizophrénie en poussée délirante, la dépression grave accompagnée d'éléments délirants, la détérioration mentale du sujet âgé, et la débilité moyenne ou profonde. Dans ces cas, il peut y avoir abolition du discernement.
A un moindre degré, si le sujet est schizophrène mais stabilisé par un traitement, si quelqu'un a fait une dépression simple, ou encore si on est au début d'une détérioration, ou si l'on présente une débilité légère, là, l'expert conclura à l'altération du discernement. Le sujet sera jugé, mais, bien sûr, il faudra aménager la peine en le traitant de façon médicopsychologique, même s'il répond de ses actes, et donc qu'il fera une peine de prison si les actes sont graves.
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